Vous qui aimez la belle écriture et ne rechignez pas à vous lancer des défis, je vous conseille de vous procurer quelques lettres de régies immobilières et de vous attacher à les réécrire avec un peu d’humanité. Il y a du boulot !
Suite au décès de ma tante – laquelle n’a pas eu d’enfants – ses neveux et nièces, dont je fais partie, ont reçu une missive de la régie propriétaire du quatre pièces où elle logeait depuis un peu plus de vingt ans. Pour une bonne compréhension du propos, il convient de préciser que durant toutes ces années, pas un seul coup de pinceau, pas le moindre entretien n’y avait été apportés.
Ma tante était une vielle dame d’une rare humilité et d’une discrétion de confessionnal. Elle allait jusqu’à baisser le volume de sa télévision, quitte à ne plus rien entendre, pour ne pas risquer de déranger ses voisins. A quatre-vingt-quinze ans, elle vivait seule dans un appartement bien préservé, tant elle avait le respect des choses d’autrui.
Informée de ce décès par nos soins, la régie s’est fendue d’un courrier administratif précisant, après de vagues condoléances de type lettres-types, que le délai de résiliation du bail était de trois mois. « Cependant, nous serions d’accord de vous libérer de vos obligations pour le 31 décembre ou, au plus tôt pour le 15 décembre… ». Invoquer nos « obligations » permet sournoisement de nous mettre en situation redevable. Ne soyons pas dupes, la régie allait désormais pouvoir, au bas mot, louer l’appartement deux fois plus cher au prochain occupant. Elle est plus pressée que nous !
Quoiqu’il en soit, rendez-vous est pris pour un premier état des lieux : tout se passe plutôt sereinement ! Il a l’air gentil, le monsieur. C’est vrai que notre tante n’était pas du genre Diogène, pas plus qu’adepte du vandalisme ni entraînée aux incivilités. Les seules choses qu’elle taguait, c’était nos joues avec son rouge-à-lèvres.
On nous annonce que le logement sera rafraîchi et rénové en vue d’une nouvelle et prochaine location. Ressortis rassérénés une petite heure plus tard, il ne nous restait plus qu’à attendre leurs conclusions écrites.
Cela n’a pas traîné, courrier A, le lendemain la lettre était-là. Une sentence pénale digne du plus véreux des procureurs. Une suite de requêtes ahurissantes comme le nettoyage minutieux du logement (alors qu’il est prévu d’y réaliser des travaux), tout cela dans un langage engageant tel que : « les éléments à votre charge… reste réservé les dégâts… si non exécutés… nous nous verrons contraints… etc. » Notre tante n’avait pris ses quartiers définitifs au cimetière que depuis trois jours.
Notre société s’est déshumanisée et le courrier administratif se fait fort de nous le rappeler quotidiennement. Je m’en prends ici à une régie, mais je pourrais multiplier les coups de gueule envers les assurances, la poste, les banques, les services publics etc.
Ne serait-il pas plus simple de faire preuve d’un peu d’empathie rédactionnelle plutôt que de menacer et de se cacher derrière règlements et procédures ? Les relations humaines s’en porteraient mieux et le petit péquin n’additionnerait pas craintes, rancœurs et ressentiments qui, au final, l’amèneront peut-être à se rebiffer un jour, non plus exclusivement contre les décisions politiques impopulaires, mais contre les vexations sourcilleuses et dégradantes de la vie quotidienne. Les Indignés de 2011 sont bien vivants et diffèrent patiemment l’heure salutaire, comme la braise qui couve, tout en capitalisant sur des rangs qui s’étoffent imperceptiblement, dans le secret.