Dans mon dernier petit papier, je posais la question, par les temps numériques qui courent, de la nécessité de toujours apprendre à écrire à la main. Bien que j’aie évité de trancher de manière péremptoire, par ouverture d’esprit ou par couardise, il n’en demeure pas moins que le constat est implacable : apprendre à écrire, quelle qu’en soit la forme, ne saurait être remis en question. Pas plus que l’apprentissage de la lecture, d’ailleurs ! Se pose encore, dans ce monde d’oralité et d’images, la question du rôle même de la lecture.
Il est fort probable que l’évocation du lycée Tevfik Fikret d’Ankara en Turquie ne vous dise pas grand ‘chose. C’était mon cas il y a peu. Et pourtant, cela fera vingt ans l’an prochain que cet établissement lançait un programme aux allures révolutionnaires, ayant essaimé ces dernières années jusque dans nos écoles romandes : Silence, on lit ! Le concept en est simple. Chaque jour, à la même heure, chacun cesse toute chose courante pour s’adonner quinze minutes à la lecture du livre de son choix.
Avec le recul, les fondateurs turcs se disent sidérés du succès de leur entreprise, sachant qu’aujourd’hui ce temps de lecture a changé les rapports entre professeurs et élèves… Cela leur permet de sortir du rapport d’autorité-subordination habituel.
On aurait découvert-là l’œuf de Colon. Voyez plutôt ce qu’en dit la journaliste Elif Irmak sur les réseaux sociaux : Ce temps de lecturea des effets bénéfiques pour tout le monde, pour les adultes comme pour les jeunes : il renforce les capacités de concentration, favorise la curiosité, développe la culture, l’enrichissement lexical, le plaisir de lire, l’attention, la créativité, la capacité d’analyse, de synthèse et de jugement il accélère la maturité des jeunes, contribue à l’amélioration de l’expression écrite et orale.Bilan étourdissant, non ? Ce qui m’aparraît également comme digne d’être reporté ici est que l’ensemble du personnel de l’établissement s’y est mis : du cuisinier de la cafétéria au comptable en passant par le concierge.
Alors, bien sûr, on en vient à rêver que ces quarts d’heures soient proposés tous les jours chez nous également. Ne faisons pas la fine bouche. Un pas après l’autre ou comme le dit la chanson : tout doux, tout doux, tout doucement. Réjouissons-nous plutôt de ce que l’on a mis le pied dans la porte. Le 11 novembre 2019 dernier à 10h10, dans les écoles vaudoises, plus de 100’000 personnes ont lu un extrait du livre qu’elles avaient amené avec elles. L’expérience a été reconduite tous les mois.
Les autorités vaudoises en ont profité pour rappeler que l’apprentissage et l’encouragement de la lecture et de l’écriture sont des missions centrales pour l’État. Et d’ajouter : le but est de soutenir ces missions par deux piliers: une politique éducative forte et une politique culturelle de soutien au livre et à l’écrit. Voilà qui est réjouissant.
Des moyens conséquents ont été mis à disposition de dizaines de bibliothèques publiques pour, entre autres, qu’elles puissent s’enrichir de nombreux livres. Une façon élégante de réitérer le respect dû à un objet hors du commun dont Carlos Ruiz Zafon dans Le jeu de l’ange prétend : Chaque livre a une âme, l’âme de celui qui l’a écrit, et l’âme des lecteurs qu’il fait rêver.