Bamako

Rien ne serait arrivé si je n’avais pas changé de coiffeur. J’étais alors en recherche d’emploi. Cela devenait urgent de trouver un job, peu importe lequel. 

Depuis plusieurs jours, une idée trottait dans ma tête. Et si tu appelais Jérôme Matthey ? Le professeur Matthey était titulaire de la chaire de relations internationales à Science Po. J’avais effectué mon travail de licence dans son département. Mon mémo ayant reçu une mention cum laude, il devait certainement se rappeler de moi. 

Seulement voilà, on ne se refait pas. Je me trouvais bien cavalière et surtout prétentieuse. J’imaginais la scène, mon téléphone en main : « Bonjour Professeur, c’est moi Stéphanie Gremaud, vous vous souvenez de moi ? En fait, je me permets de vous contacter car je cherche du travail. Je me disais que peut-être, éventuellement, par hasard vous auriez… ». Ridicule, je serais ridicule. 

Plus je renonçais à l’idée, plus elle revenait. A plusieurs reprises j’avais saisi le combiné. A peine l’indicatif de la ligne directe du professeur Matthey composé, je raccrochais. Et pourtant, une petite voix me répétait sans cesse : « Appelle, Stéphanie, qu’est-ce que tu attends ? »

Je vivais une période d’achats compulsifs dans les boutiques les plus branchées. N’étant pas à une folie près,  je décidai d’en faire une de plus : me rendre chez Marlow, le coiffeur hommes-femmes le plus huppé de la ville. Cela me coûterait une fortune, mais comme je venais de refaire toute ma garde-robe, je pensais devoir aller jusqu’au bout de mon délire. « Tant qu’à faire, soignons le paraître. » J’avais inscrit mentalement ces dépenses insensées sur le compte « investissement », histoire de déculpabiliser un peu. 

A l’instant même où la porte coulissante du salon de coiffure s’ouvre, je me retrouve nez à nez avec le professeur Matthey. Tiré à quatre épingles, fraîchement coiffé, il est là, qui me regarde du haut de son mètre quatre-vingt-dix, trente centimètres au-dessus de ma tête. 

– Stéphanie, quelle bonne surprise ! Vous fréquentez aussi cet endroit ? me dit-il comme si nous nous étions quittés la veille.

– Bonjour Professeur, oui, enfin non, c’est la première fois que je viens ici. Je m’offre un petit caprice. Une fois n’est pas coutume. 

Je m’adresse à lui comme lorsque j’étais étudiante, un peu craintive et désarçonnée par cette rencontre improbable, bien que certainement inconsciemment souhaitée. Comment allez-vous, racontez-moi !

– Cela pourrait aller mieux. Voyez-vous, j’ai dernièrement perdu mon mari. 

– Oh ma pauvre, quelle horreur, toute ma sympathie. Dites-moi, vous êtes très jeune, votre mari…

– Oui, mon mari était jeune, lui aussi. Le cancer ne se préoccupe pas de l’âge de ses victimes. Il frappe où bon lui semble. 

– Je compatis sincèrement, croyez-moi. Mais parlez-moi de vous ?

Je lui explique qu’il n’y a pas grande chose à dire. Que je m’efforce de refaire surface. Que je vais mieux. J’additionne les banalités. J’hésite un peu avant de lâcher le morceau.

– Il ne me reste plus qu’à trouver un travail. 

-Une femme aussi brillante que vous ne devrait pas rencontrer grand obstacle.

– Détrompez-vous, Professeur, voilà des mois que je cherche en vain, c’est un peu comme si les femmes ayant fait science politique n’étaient pas crédibles aux yeux des employeurs potentiels. J’ai, à plusieurs reprises, été dans le dernier carré, mais c’est un homme qui, à chaque fois, a emporté la mise. 

– Ne m’aviez-vous pas relaté avoir fait une formation de secrétariat avant de rejoindre les bancs de l’Université ?

Cela me gêne qu’il me le rappelle. Stéphanie, la petite secrétaire bonne à tout faire, je ne voulais plus y penser. Si j’avais tardivement décidé de poursuivre des études, c’était bien pour en sortir. Et voilà que Matthey l’exhumait. Il poursuit. 

– Si cela peut vous dépanner, je cherche pour trois mois une collaboratrice pour m’aider dans l’administration et la logistique d’un projet en partenariat avec Bruxelles. Je serais évidemment enchanté de travailler avec vous.

Déçue, j’ai envie de lui signifier un refus catégorique. Il n’est pas meilleur que les autres. Mon instinct de survie s’y oppose et c’est un « oui volontiers, avec plaisir » sans enthousiasme mais reconnaissant qui sort de mes lèvres. Il me tend sa carte de visite : « appelez-moi cet après-midi, d’accord » ? 

Le lendemain matin, je faisais mes débuts.

Au bout des trois mois, le professeur Matthey m’annonça qu’il avait l’intention de me garder quelques semaines de plus. Le dernier vendredi de collaboration finit pourtant par arriver. Je n’avais toujours rien trouvé pour la suite. Le destin allait s’en charger. La scène me revient dans les moindres détails. 

Vers 15 heures, un visiteur que je ne connais pas fait son entrée. Bonjour Madame, je souhaiterais parler au professeur Matthey.

Je suis là, lui lance Matthey depuis son bureau. J’arrive.

Salut Karl, quel bon vent ?

– Salut Jérôme, je suis venu voir ton recteur et, comme j’ai vu de la lumière – il rit – je me suis permis d’entrer. 

– Sympa, vraiment sympa. Tu es sûr, toi l’homme toujours pressé, que tu n’as rien à me demander ?

– On ne peut rien te cacher. 

Karl, responsable des politiques humanitaires à la Croix-Rouge, se lance dans un bref exposé des conditions de vie des femmes en Afrique occidentale. Celles-ci se sont profondément détériorées du fait du développement rural. Les campagnes se vident petit à petit et les femmes restent seules sur place. Elles sont devenues la proie des djihadistes. 

– Pas besoin de te faire un dessin, Jérôme. 

– Oui, je sais, c’est odieux. Et que vient faire la Croix-Rouge dans cette histoire ?

– Toute la zone est en état de guerre larvée. On est en train de monter un programme de protection de ces populations sous l’égide de l’ONU. On nous a confié la coordination et la logistique. Beau projet.

– Et en quoi puis-je t’être utile ? 

Je tends l’oreille, la place des femmes dans la société africaine était justement le thème de mon travail de licence. Une étrange excitation me gagne. La réponse de Karl à la question accroît la tension que je ressens. 

– Je cherche la perle rare. Je compte engager une coordinatrice, en clair, une femme ayant fait science po en relations internationales. Sa qualité principale devrait être de connaître la situation géopolitique de l’ouest africain et idéalement d’y avoir séjourné. 

– Pffff, tu m’en demandes beaucoup.

Pourquoi il ne pense pas à moi ? Je peine à croire qu’il a oublié que j’ai fait mon travail de licence au Mali.

– Tu as posé la question au recteur ? 

– Il n’a aucune idée.

Il se retourne vers moi :

– Et vous Stéphanie, vous auriez une i… KARL, crie-t-il soudain, elle est là ta perle. Que je te présente Madame Stéphanie Gremaud. Excusez-moi Stéphanie, quel engourdi je suis. Cela est si évident. Vois-tu Karl, Stéphanie a rédigé un remarquable mémo de fin d’études sur le sujet qui te préoccupe. Mieux, elle a vécu sur place. Je vous laisse faire connaissance.

Le lundi suivant j’étais dans l’avion pour Bamako. 

Aujourd’hui, cela fait exactement une année que je suis l’otage du MIAM, le Mouvement Islamiste d’Afrique Méridionale et que je croupis dans un cabanon insalubre, privée de la lumière du jour. Je garde espoir !

Le Canal du midi

Le jour de mon mariage, en plus des promesses d’usage devant Monsieur le Curé, j’avais fait serment à Nuria de retourner chaque année dans son pays, près de Barcelone, pour y passer les grandes vacances. Ainsi, début juillet, à peine l’école finie, on réveillait les enfants aux environs de trois heures du matin. Après avoir tassé, entassé, pressé, compressé dans le coffre de la voiture ce qui ressemblait à un déménagement sans retour, nous quittions aux aurores notre petite bourgade des bords du lac Léman. La route serait longue, il nous en coûterait dix-sept heures pour le moins, pour autant encore que les douaniers du col du Perthus ne rallongent pas l’addition par une grève du zèle dont ils avaient le secret. Du côté espagnol, ce n’était guère mieux, leurs gabelous étant toujours à l’affût d’une plaque de chocolat à séquestrer, misérable butin. En ce début des années soixante, Franco régnait en maître et fermait les yeux à son propre avantage sur le racket de son administration.

Quelque cent mètres après notre départ, ayant passé devant l’honorable château de Coppet, ancienne demeure de Germaine de Staël et de son père Jacques Necker, j’avais pris l’habitude de couper le moteur puis de demander le silence en cabine afin de faire place au « Notre Père » que nous récitions tous à haute voix, avec le respect que l’on doit à celui auquel on sollicite la protection. À cette époque, les routes se montraient meurtrières, les ceintures de sécurité encore au stade d’esquisse dans la tête de leur inventeur et les voitures en tôles légères. Quant à la Nationale 7, elle proposait trois pistes assassines bordées de platanes arborant pour la plupart les stigmates des pare-chocs de ceux dont le voyage s’était prématurément arrêté là. 

Ce mercredi 11 juillet 1962, jour de la Saint-Benoît, nous avions à bord une invitée de choix, ma belle-mère. Elle avait débarqué chez nous un mois plus tôt, car elle s’ennuyait de sa fille. Nous profitions du trajet pour la ramener chez elle, Calle Provenza, proche de la Sagrada Família, laquelle ne comptait que quatre tours et offrait aux passants l’image d’un chantier à l’abandon.

Lors de ce qu’il faut bien nommer ces « transhumances estivales », le premier arrêt se situait au pied de la montée du Mont Sion, peu après Genève. C’était l’endroit généralement choisi par notre cadet pour vomir biscottes et chocolat chaud, certes ingurgités à une heure inhabituelle. Nuria, une fois les premiers « secours » apportés, notait l’heure et le kilométrage dans son petit carnet de voyage, informations classées secret défense à l’en croire. J’ai l’air de me moquer, mais ces calepins lui permettent aujourd’hui de refaire des allers-retours à Barcelone sans quitter son fauteuil.

Nous venions de faire une halte à Romans, capitale française de la chaussure — on en comprendra l’ironie par la suite — et nous trouvions dans la ligne droite entre Bourg-de-Péage et Valence quand l’embrouille a commencé. Un Allemand roulant ventre à terre s’était rabattu violemment pile devant nous pour ne pas s’empaler dans le camion « Valentine — les belles peintures » qui, en face, dépassait avec largesse une mobylette. Cela m’avait obligé à un freinage intempestif entraînant mon Opel Capitaine dans une embardée qui avait provoqué les cris de ma femme et de sa mère. « C’est rien, c’est rien, juste un Allemand qui ne sait pas que la guerre est finie », les avais-je tous rassurés.

C’est à ce moment précis que j’ai senti l’objet. Sous mon pied gauche, quelque chose venait de se déplacer. Il s’était coincé entre la portière et ma cheville. J’essayai, par tâtonnements plantaires, d’en déterminer la forme. On dirait un soulier. Oui, c’est bien ça, on dirait même qu’il a un haut talon. Une chaussure de femme ? 

Haut-le-cœur ! Léger tremblement. Et si c’était l’escarpin de Murielle ? Elle et moi, avions fait l’amour la veille au soir dans la voiture.  Murielle avait été engagée dernièrement dans la boîte qui m’employait. Chose hautement invraisemblable, elle avait rapidement inauguré à mon égard une série de petites amorces anodines qui s’étaient transformées en allusions de moins en moins discrètes. Je peux prouver qu’à cette époque déjà je n’avais rien, mais alors rien du sex symbole, au point que même ma propre femme se moquait souvent de ce qu’elle nommait, en roulant les « r »,  mes allures de séminariste. 

Dans l’ascenseur, le lundi précédent, Murielle m’avait collé une bise sur le bout du nez en disant « Tu sais que tu m’excites, toi ? ». Elle avait aussitôt pesé sur le bouton d’arrêt et, frottant ostensiblement son corps contre le mien, m’avait plaqué contre le miroir puis embrassé avidement. J’en avais eu le tournis, me demandant dans un reste de lucidité, comment cette fille de quinze ans ma cadette, belle comme celles qui font la Une des Magazines de mode, pouvait ressentir une quelconque attirance pour un type comme moi. Avec sa frimousse angélique, ses longues jambes sensuelles savamment valorisées par d’affriolantes minijupes et des escarpins vertigineux, sa ravissante petite poitrine que des décolletés à la limite de l’indécence faisaient deviner, elle pouvait assurément s’offrir bien mieux. Je n’en revenais pas. J’étais encore capable de séduire, et qui plus est, pas n’importe qui.

Alors, nous nous étions abandonnés dans cette voiture qui, en ce jour de juillet, fait route pour l’Espagne. 

Je me repasse le film de nos ébats. Je me rappelle qu’à un moment elle m’a dit de faire attention parce qu’elle avait le changement de vitesse entre les fesses. Et puis…  Ah oui, c’est ça ! N’ayant évidemment retiré que le strict nécessaire au vu de l’inconfort ambiant, nous nous sommes simplement réajustés. Je n’avais pas enlevé mes mocassins, ça j’en étais certain. Mais elle ? Est-ce qu’elle avait gardé ses escarpins aux pieds ? Vraisemblablement, et puis qu’est-ce que j’en sais ? On est ressortis du parking, j’ai pris à droite pour la déposer chez elle dix minutes plus tard. Elle m’a dit avec ironie « Bonnes vacances » avant de disparaître. Si elle avait perdu une chaussure, elle l’aurait remarqué, non ? J’étais parti comme un voleur, trop affolé à l’idée d’être vu. Je ne me souviens pas l’avoir vu gesticuler dans le rétroviseur. Non, ce n’est tout simplement pas possible. Quoique ! Cesse de gamberger, calme, calme-toi Jean-Pierre. Mais, m…., il y a bien une chaussure dans cette bagnole et si ce n’est pas la chaussure de Murielle, elle est à qui, qu’est-ce qu’elle fout-là ?

Nuria occupée à regarder le paysage à sa droite, je tente avec mon bras de remonter discrètement la chose. Opération réussie à la première tentative. Jusqu’ici, tout se passe bien. Je glisse l’escarpin de Murielle dans mon dos,  sur ma gauche, quelques centimètres sous la vitre conducteur. Je n’ai plus qu’à attendre l’instant propice pour balancer cette satanée godasse par-dessus bord. Par cette chaleur, rien d’étrange à ce que je maintienne la fenêtre grande ouverte. 

On approche de Valence, au premier feu rouge, adieu la pièce à conviction !  

Il est écrit qu’on ne se débarrasse pas de la coulpe d’adultère si facilement… et cela se confirme. Jamais, depuis que j’avais obtenu mon permis de conduire, je n’avais bénéficié d’autant de feux verts synchrones. Qu’un sémaphore se mette enfin au rouge pour me venir en aide, voilà que systématiquement une autre automobile apparaît dans mon rétroviseur. Si ça continue, on va sortir de la ville, l’escarpin toujours coincé entre mon bassin et la portière. Et c’est bien ce qui finit par arriver.

Dois-je expier ce moment d’égarement jusqu’à la lie ? C’est Dieu qui manigance tout ça ? « Mais moi, je vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec elle dans son cœur » (Mathieu 5 : 28). Moi je ne m’étais pas contenté de convoiter.

Si je racontais la vérité à Nuria ? Tout le monde dort sur le siège arrière. Je vais tout lui avouer. Péché avoué est à moitié pardonné. Et puis non, elle ne me croira pas. Elle a croisé Murielle l’autre jour en venant me chercher au bureau avec les deux garçons. Jamais elle ne me croira. Je l’entends déjà, « toi, tu as couché avec cette fille ? Tu prends tes désirs pour des réalités, mon pauvre Jean-Pierre. Est-ce que tu t’es vu ? Il ne doit pas y avoir deux idiotes comme moi sur terre pour être attirées par l’homme insignifiant que tu es devenu ! Si, au moins, tu avais accepté cette promotion, je pourrais comprendre qu’elle te lèche les bottes, mais rien de tout ça. Monsieur a préféré renoncer pour pouvoir se consacrer encore et toujours plus à la paroisse ».

Depuis cette affaire de nomination avortée par ma faute — je craignais de déplaire à ma mère dernièrement médaillée « Bene meranti »par Jean XXIII — Nuria s’ingéniait à me dénigrer, à m’écraser, même devant les enfants. La venue de belle-maman avait amplifié le phénomène. Elle avait dû l’informer de ce qu’elle prenait pour un manque d’ambition professionnelle, car celle-ci jusqu’ici bienveillante à mon égard, s’était mise elle aussi à me battre froid. J’étais depuis quelques jours devenu un moins que rien. Peut-être que Murielle l’avait senti. Ses élans ne seraient-ils rien d’autre que de la compassion ou pire, un caprice de gamine ? 

Petite vérification faite dans le rétroviseur, je me lance.

– Tu sais, Nuria, hier soir, dans cette voiture, j’ai embrassé Murielle.

– Murielle ?

– Oui, la nouvelle secrétaire de direction. Tu l’as croisée l’autre jour.

Moment de silence durant lequel Nuria tourne sans raison apparente les pages de son calepin.

– Cette poupée ? Tu l’aurais embrassée ? Toi ? Et puis, qu’est-ce qu’elle aurait fait dans cette voiture ?

– Comme il pleuvait, je l’ai poussée jusqu’à son arrêt de tram. 

– Et elle t’a embrassé ? C’était bien ? 

Elle éclate de rire sans me regarder. Bons dieux, mais qu’est-ce qu’elle cherche dans ce petit carnet ?

– C’est déjà assez difficile de te l’avouer, alors si tu peux éviter de te foutre de moi. On a même couché ensemble, figure-toi, dans le parking souterrain, comme ça, au moins, tu sais tout.

– Écoute Jean-Pierre, je ne sais pas à quoi tu joues, mais admets que c’est grotesque. 

– Ah oui, c’est grotesque. Et ça, ça aussi c’est grotesque ? Et je lui plante l’escarpin sous le nez.

– Olé !!! Mais c’est la chaussure de maman ! 

Elle s’esclaffe de rire, me plantant au passage une banderille version El Cordobes tout en pouffant de manière si assourdissante qu’elle en réveille les deux garçons et leur grand-mère.

– Pero que pasa, hija mia ? 

– Ce n’est rien, nos estabamos riendo de un chiste. No se puede traducir 

– Qu’est-ce que vous complotez ? lui dis-je.

– Elle demande pourquoi j’ai ri si fort. Je lui dis juste que c’est malheureusement intraduisible.

– Tu ne lui as pas dit, pour la chaussure ?

– Non, j’attends de voir sa tête quand on s’arrêtera pour manger. On va la laisser mijoter un peu.

Nous avions pour habitude de déjeuner dans l’herbe au bord du canal du Midi. Malgré les plaintes incessantes de nos deux fils, lesquels avaient faim depuis Nîmes et le faisaient savoir, je ne lâchai pas le volant jusqu’à ce que nous ayons atteint notre point de chute entre Gourgasse et Colombiers. Il était quinze heures quand nous y parvînmes. Les grillons nous attendaient. C’est généralement à leurs chants que nous prenions conscience d’être enfin en vacances. Belle-maman, dans une position particulièrement acrobatique et improbable pour son âge, semblait chercher quelque chose. 

Regard complice entre Nuria et moi, au moins ça ! 

– Mais donde a disparou  mi zapato ? 

– Qu’est-ce que tu cherches, maman ?

– Mon soulier, hija mia.

– Il ne doit pas être bien loin.

– Jé né compréné pas, jé né troubé pas mon chaussure.

– Cherche encore un peu, elle ne s’est pas envolée tout de même.

– Arrête de la torturer,  Nuria, donne-la-lui, sa chaussure, lui dis-je un peu agacé.

– Ce ne serait pas ça ? dit-elle enfin en lui tendant le spectre de mes obsessions évaporées.

– Aïïï si. Où il était ?

– Elle a dû glisser vers l’avant quand Jean-Pierre a freiné, tu te rappelles ?

C’est à cet instant que Benoît nous tend un escarpin rouge vif à talon douze centimètres. 

– Et celui-là, il est à qui, Papa ?

Silence, on lit !

Dans mon dernier petit papier, je posais la question, par les temps numériques qui courent, de la nécessité de toujours apprendre à écrire à la main. Bien que j’aie évité de trancher de manière péremptoire, par ouverture d’esprit ou par couardise, il n’en demeure pas moins que le constat est implacable : apprendre à écrire, quelle qu’en soit la forme, ne saurait être remis en question. Pas plus que l’apprentissage de la lecture, d’ailleurs ! Se pose encore, dans ce monde d’oralité et d’images, la question du rôle même de la lecture.  

Il est fort probable que l’évocation du lycée Tevfik Fikret d’Ankara en Turquie ne vous dise pas grand ‘chose. C’était mon cas il y a peu. Et pourtant, cela fera vingt ans l’an prochain que cet établissement lançait un programme aux allures révolutionnaires, ayant essaimé ces dernières années jusque dans nos écoles romandes : Silence, on lit ! Le concept en est simple. Chaque jour, à la même heure, chacun cesse toute chose courante pour s’adonner quinze minutes à la lecture du livre de son choix. 

Avec le recul, les fondateurs turcs se disent sidérés du succès de leur entreprise, sachant qu’aujourd’hui ce temps de lecture a changé les rapports entre professeurs et élèves… Cela leur permet de sortir du rapport d’autorité-subordination habituel.

On aurait découvert-là l’œuf de Colon. Voyez plutôt ce qu’en dit la journaliste Elif Irmak sur les réseaux sociaux : Ce temps de lecturea des effets bénéfiques pour tout le monde, pour les adultes comme pour les jeunes : il renforce les capacités de concentration, favorise la curiosité, développe la culture, l’enrichissement lexical, le plaisir de lire, l’attention, la créativité, la capacité d’analyse, de synthèse et de jugement il accélère la maturité des jeunes, contribue à l’amélioration de l’expression écrite et orale.Bilan étourdissant, non ? Ce qui m’aparraît également comme digne d’être reporté ici est que l’ensemble du personnel de l’établissement s’y est mis : du cuisinier de la cafétéria au comptable en passant par le concierge. 

Alors, bien sûr, on en vient à rêver que ces quarts d’heures soient proposés tous les jours chez nous également. Ne faisons pas la fine bouche. Un pas après l’autre ou comme le dit la chanson : tout doux, tout doux, tout doucement. Réjouissons-nous plutôt de ce que l’on a mis le pied dans la porte. Le 11 novembre 2019 dernier à 10h10, dans les écoles vaudoises, plus de 100’000 personnes ont lu un extrait du livre qu’elles avaient amené avec elles. L’expérience a été reconduite tous les mois.

Les autorités vaudoises en ont profité pour rappeler que l’apprentissage et l’encouragement de la lecture et de l’écriture sont des missions centrales pour l’État. Et d’ajouter : le but est de soutenir ces missions par deux piliers: une politique éducative forte et une politique culturelle de soutien au livre et à l’écrit. Voilà qui est réjouissant.

Des moyens conséquents ont été mis à disposition de dizaines de bibliothèques publiques pour, entre autres, qu’elles puissent s’enrichir de nombreux livres. Une façon élégante de réitérer le respect dû à un objet hors du commun dont Carlos Ruiz Zafon dans Le jeu de l’ange prétend : Chaque livre a une âme, l’âme de celui qui l’a écrit, et l’âme des lecteurs qu’il fait rêver.   

Faut-il renoncer à apprendre à écrire à la main ?

À l’heure où il se chuchote dans les couloirs qu’un groupe de politiciennes et politiciens s’apprêteraient à lancer une motion visant à l’abandon de l’enseignement de l’écriture manuscrite au profit du clavier, les pédagogues montent aux barricades qui pour hurler au blasphème, qui pour applaudir à cette avancée indispensable.

« Même la liste de commissions est gérée sur nos téléphones mobiles ! » Le constat est imparable. Toutefois, nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui invoquent « une décision potentiellement irresponsable ». C’est que l’enjeu ne se situe pas exclusivement au niveau de l’écriture, mais de son corollaire : l’aptitude à la lecture et son acquisition.

À en croire les fidèles de l’écriture manuscrite, celle-ci serait seule à même de faciliter l’apprentissage de la lecture. Ils appuient leurs propos en vantant les succès de l’école Montessori connue pour son slogan : « L’acte de lire découle de l’acte d’écrire ». Selon cette méthode, en calligraphiant un mot dans son entier, le jeune enfant l’enregistre comme une entité distincte, ce que n’offre pas la frappe au clavier, laquelle n’est finalement qu’une façon d’épeler… avec les doigts. 

La question qui se pose est de savoir ce que nous perdrions en cas d’abandon de la graphie manuscrite. C’est au niveau des processus de mémorisation que cela se joue. Un enfant qui apprend à dessiner une lettre associe sa forme visuelle avec le mouvement qui permet de l’écrire. Ainsi, à chaque lettre correspond un mouvement bien spécifique. Ce qui n’est pas le cas avec la frappe typographique où il s’agit d’atteindre un point certes bien précis du clavier, mais qui peut être atteint par des gestes distincts. Or, de nombreuses études ont démontré que l’identification des lettres passe autant par la mémoire du geste que par la mémoire visuelle. « Ceci expliquerait pourquoi des enfants ayant appris à lire et à écrire avec un clavier les reconnaissent moins bien par la suite » affirme le professeur en neurosciences Jean-Luc Velay, chercheur au CNRS. 

Malgré ce constat, il relativise et précise que les crispations autour de la question proviennent avant tout « d’un attachement affectif à l’écriture manuscrite, celle que nous avons apprise ». L’abandon de l’écriture à la main choque encore et apparaît prématuré. A n’en pas douter, le débat ne fait que commencer. 

Le livre papier se porte à merveille !

         Quelle n’a pas été ma surprise de tomber sur un article du journal 24 Heures informant de la bonne santé du livre papier. Depuis trois ans, aussi bien en Suisse qu’en France voisine, les ventes ont augmenté au rythme de 3 % par année. Pareil phénomène est observé aux États-Unis et en Grande-Bretagne, où le livre numérique atteint pourtant près du tiers de toutes les ventes, alors qu’il n’est que de 10 % chez nous. 

         Le livre papier est vivant, bien vivant ! Contrairement au monde musical où la révolution numérique a totalement redessiné le marché, renvoyant CD et vinyles au grenier, l’e-book a de la peine à supplanter le bon vieux bouquin. Après avoir prédit sa mort, les Cassandre tournent leur veste et s’en prennent aujourd’hui au livre numérique, allant jusqu’à le qualifier de « pétard mouillé » (sic). Position tout aussi indéfendable eu égard au progrès que celui-ci amène ne serait-ce que dans l’allègement du cartable de nos enfants ou de la valise du voyageur. Force est de constater qu’il existe un réel marché pour les deux, la version papier tenant certes la corde, « les gens passant déjà beaucoup trop de temps devant l’ordinateur », comme l’avance une libraire interviewée dans l’article. 

         « Le livre est comme la cuillère — une invention qui ne peut être améliorée » disait Umberto Eco. Bien que séduit par les propos du génial auteur du Roman de la Rose, il fallait que je m’en convainque au-delà d’un simple hochement de tête. C’est sur internet que je suis allé à la recherche des éléments susceptibles d’alimenter ma réflexion, hé oui! Au final, il en ressort des arguments incontestables que je me réjouis de partager ici. 

         Tout d’abord, en y regardant bien, ce merveilleux objet appelé LIVRE, fonctionne sans câbles, sans circuits électriques, sans batteries. De ce fait, nul besoin de le réinitialiser ni de le recharger. LIVRE peut être utilisé indéfiniment ; compact et portable, emporté partout. Il suffit de l’ouvrir pour commencer à profiter de ses nombreux atouts. LIVRE est constitué de feuilles de papier numérotées de manière séquentielle pouvant contenir chacune plusieurs milliers de bits. Un simple geste du doigt vous emmène à la page suivante. Grâce à une technologie dite du papier opaque, chaque côté peut être imprimé, ce qui double la capacité de stockage. Les feuilles sont solidaires à la faveur d’un dispositif de feuillets cousus ensemble, portant le nom de reliure. 

         Il est par ailleurs recommandé de se doter d’un accessoire optionnel appelé « marque pages » ou Bookmark. Celui-ci facilite l’ouverture de LIVRE à l’endroit exact de la fermeture de la session précédente. Cet accessoire répond à des normes internationales qui autorisent son utilisation sur tous les modèles et types de LIVRE. Également en option, il est suggéré d’acquérir un crayon lequel permet le soulignement ou la rédaction des notes dans les marges ou en bas de pages, grâce à une pointe composée de graphite et d’argile. 

LIVRE est un produit obéissant aux plus hautes exigences en matière de protection de l’environnement. Il est constitué exclusivement de matériaux 100 % recyclables. 

         Je vous souhaite, à vous aussi, de vivre l’expérience LIVRE et ne résiste pas à vous « livrer » ce conseil pertinent de Bernard Pivot : « Offrez des livres ! Ils s’ouvrent comme des boîtes de chocolat et se referment comme des coffrets à bijoux ».

Popularlibros.com – BOOK – Versión completa : https://www.youtube.com/watch?v=iwPj0qgvfIsCela ressehttps://www.youtube.com/watch?v=iwPj0qgvfIsmble

Régies immobilières, courrier administratif et empathie

Vous qui aimez la belle écriture et ne rechignez pas à vous lancer des défis, je vous conseille de vous procurer quelques lettres de régies immobilières et de vous attacher à les réécrire avec un peu d’humanité. Il y a du boulot !

Suite au décès de ma tante – laquelle n’a pas eu d’enfants – ses neveux et nièces, dont je fais partie, ont reçu une missive de la régie propriétaire du quatre pièces où elle logeait depuis un peu plus de vingt ans. Pour une bonne compréhension du propos, il convient de préciser que durant toutes ces années, pas un seul coup de pinceau, pas le moindre entretien n’y avait été apportés. 

Ma tante était une vielle dame d’une rare humilité et d’une discrétion de confessionnal. Elle allait jusqu’à baisser le volume de sa télévision, quitte à ne plus rien entendre, pour ne pas risquer de déranger ses voisins. A quatre-vingt-quinze ans, elle vivait seule dans un appartement bien préservé, tant elle avait le respect des choses d’autrui.

Informée de ce décès par nos soins, la régie s’est fendue d’un courrier administratif précisant, après de vagues condoléances de type lettres-types, que le délai de résiliation du bail était de trois mois. « Cependant, nous serions d’accord de vous libérer de vos obligations pour le 31 décembre ou, au plus tôt pour le 15 décembre… ». Invoquer nos « obligations » permet sournoisement de nous mettre en situation redevable. Ne soyons pas dupes, la régie allait désormais pouvoir, au bas mot, louer l’appartement deux fois plus cher au prochain occupant. Elle est plus pressée que nous ! 

Quoiqu’il en soit, rendez-vous est pris pour un premier état des lieux : tout se passe plutôt sereinement ! Il a l’air gentil, le monsieur. C’est vrai que notre tante n’était pas du genre Diogène, pas plus qu’adepte du vandalisme ni entraînée aux incivilités. Les seules choses qu’elle taguait, c’était nos joues avec son rouge-à-lèvres.  

On nous annonce que le logement sera rafraîchi et rénové en vue d’une nouvelle et prochaine location. Ressortis rassérénés une petite heure plus tard, il ne nous restait plus qu’à attendre leurs conclusions écrites.

Cela n’a pas traîné, courrier A, le lendemain la lettre était-là. Une sentence pénale digne du plus véreux des procureurs. Une suite de requêtes ahurissantes comme le nettoyage minutieux du logement (alors qu’il est prévu d’y réaliser des travaux), tout cela dans un langage engageant tel que : « les éléments à votre charge… reste réservé les dégâts… si non exécutés… nous nous verrons contraints… etc. » Notre tante n’avait pris ses quartiers définitifs au cimetière que depuis trois jours. 

Notre société s’est déshumanisée et le courrier administratif se fait fort de nous le rappeler quotidiennement. Je m’en prends ici à une régie, mais je pourrais multiplier les coups de gueule envers les assurances, la poste, les banques, les services publics etc. 

Ne serait-il pas plus simple de faire preuve d’un peu d’empathie rédactionnelle plutôt que de menacer et de se cacher derrière règlements et procédures ? Les relations humaines s’en porteraient mieux et le petit péquin n’additionnerait pas craintes, rancœurs et ressentiments qui, au final, l’amèneront peut-être à se rebiffer un jour, non plus exclusivement contre les décisions politiques impopulaires, mais contre les vexations sourcilleuses et dégradantes de la vie quotidienne. Les Indignés de 2011 sont bien vivants et diffèrent patiemment l’heure salutaire, comme la braise qui couve, tout en capitalisant sur des rangs qui s’étoffent imperceptiblement, dans le secret.

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You’re not locked into any of this; one of the wonderful things about blogs is how they constantly evolve as we learn, grow, and interact with one another — but it’s good to know where and why you started, and articulating your goals may just give you a few other post ideas.

Can’t think how to get started? Just write the first thing that pops into your head. Anne Lamott, author of a book on writing we love, says that you need to give yourself permission to write a “crappy first draft”. Anne makes a great point — just start writing, and worry about editing it later.

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